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En dehors de l'asile
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En dehors de l'asile
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24 juin 2012

De l'importance du travail

Faut travailler. Faut travailler pour vivre, bien sûr. Très important ça, travailler pour vivre, sauf si tu gagnes au loto, là, y a pas besoin, mais bon, ça, c’est pas gagné comme qui dirait. Le problème c’est que de nos jours, on vit pour travailler. J’entends déjà les opposants, les critiques, mais non, on ne vit pas pour travailler, on doit s’épanouir, blablabla. Mais toutes ces salades, cette société qui prône le développement personnel et l’accomplissement de soi, c’est des conneries, une simple défense pour faire oublier au crétin lambda que la seule chose à espérer c’est bosser 7 jours sur 7 jusqu’à ce que tu deviennes suffisamment grabataire pour qu’on te renvoie direct à l’asile de vieux. Et encore.

Parlons en un peu de ce travail, cette idole moderne devant laquelle tous se prosternent. Quoi ? Vous ne me croyez toujours pas ? Alors écoutez donc. Quelle est la première chose que l’on demande lorsqu’on rencontre quelqu’un ? Allez, tous en cœur avec moi : « qu’est ce que vous faites dans la vie ? » Comme si ce qu’on fait pour pouvoir bouffer était la seule et unique chose représentative de notre identité. Comme si ce qui nous fait chier durant toute notre vie pouvait être ne serait-ce qu’un tant soit peu informatif sur notre personnalité.

Prenons un instant pour penser au choc traumatique d’un licenciement, au nombre de suicides qui en découlent, ou tout du moins de prises en charge psychothérapeutiques… Qu’est-ce qui nous atteint si profondément dans notre identité, si ce n’est ce poids symbolique, si ancré dans l’inconscient collectif, du travail ?

Il fut un temps où, par licence poétique, par convention philosophique, on disait que le langage était le propre de l’homme, que le rire était son apanage. Billevesées. Belles paroles galvaudées pour continuer à ignorer que le propre de l’homme, son essence même, est le travail. Quel autre être de la création travaille ? De nos jours l’importance du langage ou du rire est bien surestimée, par rapport à celle, écrasante, du travail.

Que penser de ce stéréotype qui veut que celui qui peine à trouver un travail soit au mieux un fainéant, ou pire un imbécile ? Même dans la société actuelle où un emploi est une denrée plus rare qu’un ordinateur dans une tribu papoue, on considère encore que « le chômeur » est un incapable. Il n’a d’ailleurs plus aucune identité, aucun statut, il n’est plus un être humain mais un « chômeur ».

Et chaque jours, plusieurs fois par jour, on lui demande inlassablement s’il a trouvé du travail. Juste au cas où cela ne lui viendrait pas à l’esprit d’annoncer la bonne nouvelle si c’était le cas. Juste au cas où cette information capitale pourrait se modifier d’un instant à l’autre, et qu’il faille en surveiller l’évolution, comme les cours de la bourse. Ou parfois simplement par mesquinerie, avec un ton incrédule : « tu n’as toujours pas trouvé de travail ?! », pour faire sentir à cet indigne chômeur à quel point il n’est inadmissible qu’il ne vende pas son âme au diable pour obtenir un emploi dans la minute. Si son CV magnifique, ses cinq ans d’études ou ses 30 ans d’expérience, ne lui permettent pas de trouver un poste, il s’agit forcément de qualités bien surfaites, voire mensongères, mais qu’importe son incapacité notoire, même un imbécile peut aller trimer chez McDo ou nettoyer des chiottes. Il est impensable qu’il ose ne pas se prostituer, s’offrir en sacrifice sur l’autel doré du travail.

Le chômeur en effet est un rebelle, un marginal. Un mec particulièrement bête, particulièrement flemmard, et surtout qui fait le choix aberrant de ne pas travailler. Car, tout le monde le sait, ne pas travailler est un choix. Exactement comme faire la grève de la faim, c’est un choix, sauf que le chômeur ne milite pas pour la paix dans le monde, il ne défend rien, ce qui le rend d’autant plus incompris.

Le pire dans tout ça, c’est que le chômeur est un être neutre. Il n’a pas d’émotions. En effet, en tant normal, lorsque l’on croise un honnête travailleur de notre connaissance, on entame la conversion par ce sempiternel « comment ça va ? », convention sociale majeure s’il en est. Par contre, lorsqu’on croise un chômeur, cette phrase rituelle à laquelle personne ne coupe est remplacée par « alors, tu as trouvé du travail ? ». L’essentiel est alors de savoir si cet odieux chômeur s’est enfin décidé à rentrer dans les rangs et s’abrutir au travail comme tout le monde. Savoir s’il va bien n’a aucune importance, sans travail égal sans valeur, pourquoi donc s’en soucier. Plus loin encore, on présuppose que son humeur va de pair avec le travail. Si le chômeur peut, avec un proche, se laisser aller à avouer qu’il se sent mal, il se voit répondre avec compassion « j’espère que tu vas vite trouver du travail ». Comme si le travail apportait le bonheur et la résolution de tous les problèmes psychologiques. Enfin mais c’est bien sûr, bosser 8 heures par jour pendant quarante ans ça rend heureux ! Sinon ça se saurait, le monde serait rempli de pauvres hères, épuisés, déprimés, harassés… Quoi ? Ah bon ? C’est déjà le cas ?

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